1986 — Inauguration d’une plaque commémorative à Varsovie
"Aux professeurs, employés et anciens élèves du lycée polonais Cyprian Norwid de Villard-de-Lans, France, morts dans les années de guerre 1944-1945, dans la résistance en Vercors et sur les champs de bataille européens. Vos collègues.
1986 — Inauguration d’une plaque commémorative à Varsovie
Rassemblement • 1986
Ce 27 septembre 1986, à Varsovie, anciens élèves, professeurs et employés du lycée se retrouvent en l’église de la Sainte-Croix à Varsovie pour inaugurer une plaque commémorative en l’honneur de leurs camarades disparus au combat. Des anciens élèves rapportent…
Il est 17 heures, nous nous sommes réunis dans la petite cour de l’église Sainte-Croix. Nous sommes une trentaine venue de Varsovie et de province et devons nous présenter, car nous n’arrivons pas tous à nous reconnaître. À notre grande joie, notre professeur Zofia łukasiewicz est là. Zbyssek Zarzycki prend des photos à la lueur du soleil couchant. Nous descendons dans les sous-sols de l’église et nous nous regroupons dans une grande galerie devant la plaque commémorative recouverte d’un voile sombre. Nous nous recueillons et le père Bozowski prend la parole. Nos regards se posent sur l’urne en porcelaine et bronze qu’il tient entre ses mains…
« — Regardez ce vase, voyez ce dauphin qui orne son couvercle : c’est le symbole du Dauphiné, là où tout a commencé. Ce vase a été acheté par Zdzis Maszadro. Zdzis s’est rendu sur les champs de bataille de Normandie ; il a visité les cimetières et a prélevé un peu de terre de chaque tombe de nos camarades. Nous avons déposé cette urne dans l’église, puis a germé l’idée de la plaque commémorative que nous allons découvrir aujourd’hui. Pour l’urne, je souhaite qu’elle reste sur cet autel et m’accompagne dans la célébration des messes. Après moi, elle pourra passer à mon fils spirituel Taddiée qui est séminariste et, par la suite, pourquoi pas à l’un de vos petits enfants… »
Les dames déposent des fleurs sous la plaque. Zbyrek Zarzycki, surnommé l’hérétique par le père Bozowski, apporte l’aspersoir d’eau bénite. Quelqu’un approche un siège pour Zofia, qui refuse de s’asseoir et veut suivre debout la cérémonie. La plaque est dévoilée. Le père continue…
« – C’est ici, dans les entrailles de la capitale, dans les souterrains de l’église Sainte-Croix qui naguère abritait le cercueil du prince Joseph Poniatowski , là où repose le cœur de notre héros national Kosciuszko , qu’aura lieu le lever du voile et la consécration de la plaque commémorative en souvenir de Villard-de-Lans. Cette inauguration est un hommage rendu à ceux qui sont morts dans le Vercors ou qui ont disparu par la suite, mais aussi à ceux qui sont encore vivants. Elle est le souvenir et le symbole de notre maison commune que fut pour nous tous, à Villard, le Lycée polonais Cyprian Norwid.
Cette école, devenue un véritable collège au sens anglais du terme grâce au professeur Zaleski, fut une oasis de polonité et de paix, un véritable lieu de vie. Les professeurs n’étaient pas des enseignants ordinaires : ils transmettaient leur savoir et formaient les caractères, mais ils savaient aussi qu’ils préparaient la future élite pour la Pologne d’après-guerre et la reconstruction du pays.
L’ardeur et la turbulence de la jeunesse, les cours exceptionnels du professeur Godlewski, le chœur inoubliable du professeur Berger, l’atmosphère, les liens qui nous unissaient tous — tout cela a laissé dans nos cœurs et nos mémoires une empreinte très forte. Des amitiés se sont créées et elles ont résisté au temps, comme en témoignent la chaleur et la bienveillance de l’accueil à Villard lors de nos dernières rencontres. Je me souviens très bien de l’année 1943, lorsque la situation en Europe a commencé à basculer. J’ai fait un sermon le 31 décembre à l’occasion de la fin de l’année. Il a sans doute été un peu long et vous avez dû vous impatienter pour rentrer à l’hôtel du Parc fêter la nouvelle année. Ce que je disais n’était pas facile : « Aujourd’hui, je m’adresse à vous qui êtes en vie et je vous demande de réfléchir au sens de la vie et de la mort. Pourquoi et pour combien de temps Dieu nous a-t-il laissé vivre ? Tout au fond de votre âme, faites un acte de contrition et dès maintenant acceptez les futures souffrances, car, lorsque la mort surviendra, vous ne serez peut-être pas en état de le faire. »
Dans cette nuit lointaine de décembre, après l’homélie, l’église s’est vidée et j’ai remarqué un jeune garçon agenouillé en prière, Zdzisiek Jaworczak.
« – Que fais-tu encore là, tous sont rentrés fêter le Nouvel An ? — Mon Père, me dit-il, je sais que je vais mourir … »
« – Tous maintenant, prions pour ceux qui nous ont quittés, professeurs et camarades. Mais prions aussi pour les vivants dispersés dans le monde entier, ceux de Pologne, de France, d’Angleterre, d’Amérique et du Canada. Prions aussi pour vous tous. Vous, Mesdames, qui avez l’âge des héroïnes de Balzac, pour notre toujours jeune Zofia łukasiewicz, le cœur de Villard, qui n’a pas pris une ride, et puis… pour tous les autres, enfin pour Tadzio łepkowski, afin que Dieu l’aide dans la rédaction de l’histoire de Villard, dans la transmission des valeurs politiques et religieuses de l’école.
Comme dit le poète : “Ne pas obstinément se parer la tête de lauriers fanés, mais aller de l’avant avec les vivants et bâtir une vie nouvelle.” Ne vivons pas que de souvenirs. Après notre messe dans ces catacombes, nous retournerons à notre vie de tous les jours. Regardons-la autrement après avoir emporté, de cet autel où sont enfermées les cendres, une petite étincelle qui brillera dans vos cœurs. »