5.3.1 « Villard était alors une ville à moitié morte. »
—Bronisław Bozowski, aumônier. Notre école, 2017, d’après Kapłanem na wiecki, 2015.
Quand, fin septembre 1940, Wacław Godlewski visita brièvement Villard-de-Lans pour savoir si cette station climatique et sportive pouvait loger professeurs, élèves et personnels, la plupart des réfugiés, soldats en déroute ou prisonniers de guerre échappés, Villard était alors une ville à moitié morte. Hommes capturés, fermes abandonnées, hôtels et pensions déserts, personnels saisonniers partis, cafés et magasins presque vides… Les habitants, des gens âgés pour la plupart, étaient déprimés par la dimension du cataclysme inattendu qui venait de se produire, par la misère à laquelle ils n’étaient pas habitués, par la séparation d’avec les pères, frères ou fils emprisonnés dans des camps allemands.
Et voilà qu’arrivent deux cents jeunes Polonais en bonne santé, fringants, pleins de vigueur et de fantaisie, accompagnés d’un groupe d’hommes et de femmes d’âge moyen, plein de distinction et d’entrain, pour créer une improbable école polonaise. Aucun de ces étrangers ne doutait un seul instant qu’Hitler serait vaincu et que de l’école renaîtrait la Pologne. Ils exprimaient cette certitude avec force, par leurs paroles et par leurs actes.
L’esprit déprimé des Français s’en trouva ranimé. Leur courage augmentait à la vue de ces jeunes qui, jour après jour, marchaient par rang de quatre, en chantant, pour travailler à leur ferme des Geymonds, qui se rendaient chaque dimanche à l’église pour une messe devenue « polonaise »…
Ainsi probablement jamais Villard ne connut une vie aussi vraie et forte, saine et joyeuse dans ces années relativement calmes de 1940 à 1942. On voyait et entendait les jeunes Polonais partout : avant midi dans les cafés et les salles à manger de différents pensionnats où les classes étaient dispersées ; dans l’après-midi dans ces mêmes cafés, sirotant un verre de vin ou un panaché ; sur les terrains de sport à jouer avec ou contre les Français ; vadrouillant au pied des montagnes, seuls, en couple ou en groupe ; le soir, dans la salle de cinéma de la paroisse, dans les maisons amies ou sous les fenêtres du pensionnat de filles… Tous étudiaient, certains juste avant les examens, d’autres tout le temps. Nombreux préparaient spectacles et concerts. Il flottait alors sur Villard paroles et chants polonais, transformant ce village paisible en un foyer dynamique vibrant de jeunesse. Une jeunesse par moments un peu folle qui pouvait organiser des compétitions de natation habillée dans la fontaine de la place principale, ou permuter dans la nuit des enseignes de magasins, ou éblouir les passants avec des miroirs du toit de l’école. Les Villardiens de souche enduraient ces potacheries avec calme et humour. Les exploits et singeries de ces Villardiens de cœur leur changeaient les idées et ils étaient fiers que Villard vive de plus en plus au rythme du lycée. Peut-être devenaient-ils eux-mêmes un peu Polonais.