6.6.1 « La libération de Paris a été une très grande joie. »
—Lucjan Owczarek, élève. Récit sur feuille libre, non daté.
Nos recherches d’armes aboutissaient enfin. Le 15 août, deux camions allemands avec armes, munitions et personnel polonais des unités allemandes quittent leur caserne d’Enghien et gagnent le point de chute préparé, le garage Borys à Alfortville. Borys, membre de POWN, est aussi très lié à la Résistance locale… Nous mobilisons tous nos membres. Je me préoccupe particulièrement de la section de Paris–Saint-Paul. Paris est traversé par des soldats allemands en retraite, les véhicules de fortune, les chevaux, les vieux engins. C’est visiblement le début de la débâcle. Tout le monde est très impatient, voudrait agir. Le seul ordre que je reçois est d’attendre…
Mais bientôt on tiraille d’un peu partout. Avec des meubles et des pavés de rues défoncées, on s’efforce de construire des barricades. À Saint-Paul, je vois un char allemand endommagé. Le drapeau français flotte sur l’Hôtel de Ville. Beaucoup de monde sur la place et dans les rues. Nous passons devant les soldats allemands ahuris en faction à la gare d’Orsay. De portail en portail, nous nous dirigeons vers l’ambassade de Pologne dont l’occupation est une de nos priorités. Nous arrivons à l’ambassade. Tout est fermé. Il n’y a personne. Nous constatons que les immeubles voisins sont déjà occupés par la Résistance : ministères de la Guerre, du Travail, Invalides, Maison de la Chimie. Les Allemands sont retranchés gare des Invalides…
Je décide de faire venir à Paris au moins une partie des transfuges d’Alfortville, avec leurs armes. Il faut profiter du désordre général et de l’indécision des Allemands. Je sais que des patrouilles allemandes circulent, qu’il y a des postes aux entrées de Paris. L’opération est risquée, mais réalisable. Je demande à ce que le véhicule soit peint en blanc et rouge afin qu’il soit bien visible. Le camion circulera ainsi sous les couleurs polonaises. Le véhicule repeint passe sans encombre devant un poste allemand. Tant les occupants de la cabine que les passagers couchés à l’arrière sont armés. Conformément aux instructions, la Maison polonaise du 7, rue Crillon est le premier objectif libéré…
J’ai vu le premier char français à l’Hotel de Ville et la folie qui s’était emparée des gens. J’ai vu l’enthousiasme, la crainte qui faisait enlever les drapeaux, j’ai entendu les potins les plus invraisemblables. Et puis le bonheur….
Le bilan. Dès les premiers jours des combats, tous les membres du POWN ont été mobilisés. Nous avions sur la région douze sections comprenant trois cent trente-trois membres, dont seize femmes. Nous n’avons pas eu de pertes à déplorer. Nous avons occupé tous les immeubles qui avaient abrité des services officiels polonais ou appartenant à des Polonais… La libération de Paris a été pour nous une très grande joie, mais tempérée par nos pensées qui allaient vers Varsovie, vers la lutte qui se déroulait là-bas sans espoir d’une aide efficace de l’Ouest, vers les problèmes polonais dont nous étions conscients de la gravité.