3.3.1 Ils ont marqué les esprits.
—Les professeurs.
Jan Harwas, né en 1909 en Westphalie, n’a jamais enseigné avant son arrivée à Villard. Il est formé à la philologie classique et à la sociologie. Il se passionne pour la philosophie (la guerre l’empêche de passer sa thèse de doctorat sur Plotin). Esprit universel et polyglotte, il parle le latin aussi bien que sa langue maternelle. Il exerce à Lille, entre 1938 et 1940, les fonctions de chef du service culturel du consulat de Pologne. À Villard, il enseigne le latin et le grec. Il est fait prisonnier lors de la bataille du Vercors et fusillé un mois plus tard.
Kazimierz Gerhardt est ingénieur de formation et travaille dans l’industrie à Lwów, sa ville natale. Il y est aussi assistant à l’école polytechnique. Il enseigne la physique et la chimie d’abord au lycée polonais de Paris, puis à celui de Villard. Très sociable et doté d’un humour très particulier, il aime à s’habiller et à se comporter « à l’anglaise ». Il connaît le même sort que Jan Harwas : prisonnier puis fusillé à l’été 1944.
Tadeusz Steffen est né en Pologne. Il n’est pas professeur, mais ingénieur de formation, spécialiste des liaisons. À Villard, il est professeur de physique et assiste Jadwiga « Maman » Gostyńska à la direction de l’internat. Tous deux forment un couple inséparable, mais attendent leur retour en Pologne pour se marier.
Marian Kozłowski, ingénieur, vice-directeur du centre pétrolier de Drohobycz, est professeur de chimie et d’anglais.
Zbigniew Puget, peintre connu, est professeur de dessin.
Wlodzimierz Tarło-Maziński est ancien officier de l’armée (russe, puis polonaise), ingénieur électrotechnicien et docteur en philosophie. Il enseigne à Villard l’astronomie, l’histoire et la philosophie.
- Adam Skinder, élève – Notre école, 2017, d’après Mój Villard de Lans, 1978.
Włodzimierz Tarło-Maziński était une figure hautement controversée. Je l’avais rencontré pour la première fois à Lyon, rue de la Tête d’Or, au consulat de la République de Pologne où il m’avait établi un passeport ainsi qu’à mes deux camarades. Nous venions de nous évader du camp de La Courtine où l’on nous avait enrôlés de force dans la Légion étrangère. Nous voulions partir en Argentine où mon oncle habitait depuis plusieurs années. Il me surprit en me posant cette question : « Et comment va votre papa Stach ? Nous nous connaissons de Wilno. » Je bredouillai une vague réponse, car évidemment j’étais sans nouvelles de ma famille, mais ce fut un bredouillis de jeune homme bien élevé.
C’était un homme au cœur d’or. Il avait migré de Lyon à Grenoble, où il avait pris ses quartiers à l’hôtel de la République en compagnie de la « faune des bois ». C’est ainsi qu’étaient surnommés nos anciens notables, arrivés de Pologne avec leur famille au grand complet et souvent avec leurs biens. Ils passaient leur temps en vaines palabres sur des sujets comme « À quoi ressemblera le nouveau zloty (le nom de la monnaie polonaise) » et en agréables ingestions… Ils vivaient, à quelques exceptions près, sur un grand pied.
Le professeur Tarło-Maziński s’y sentait perdu. Il aimait le contact avec la jeunesse et c’est ainsi qu’il se retrouva à Villard pour enseigner l’astronomie et, à titre subsidiaire, les mathématiques. Ses cours fascinants nous faisaient sentir l’immensité et la toute-puissance de l’univers et notre propre petitesse au milieu de cet espace infini.
Il organisait le soir des sorties en plein air avec les élèves et parfois aussi avec l’équipe enseignante, ce qui lui donnait l’occasion d’illustrer, sur fond de ciel scintillant de millions d’étoiles, l’immensité de l’univers, la petitesse de la terre et l’omnipotence des droits de la vie. « Voyez-vous, tout en ce monde est soumis à un ordre et à des lois immuables, sur lesquelles l’homme lui-même doit régler son comportement. Qui veut régler consciemment son comportement pour atteindre le but recherché doit avoir cet ordre en tête. Mais, pour avoir cet ordre en tête, il faut d’abord l’avoir autour de soi ! D’où le proverbe : Montre-moi où tu habites, je te dirai qui tu es. »