3.2.1 « Cet humaniste paisible, au sourire bienveillant. »
—Adam Skinder, élève. Notre école, 2017, d’après Mój Villard de Lans, 1978.
Zygmunt Lubicz-Zaleski (1882 – 1967) s’engage très tôt pour la renaissance de sa patrie alors partagée entre trois empires, ce qui lui vaut de connaître la prison. Il poursuit ses études à Berlin, Munich, puis Paris où il se fixe en 1910. Du fait de son engagement pour la cause polonaise et de sa notoriété d’intellectuel, le nouvel État polonais le nomme en 1924 délégué en France du ministre des Cultes et de l’Instruction publique.
Lubicz-Zaleski est poète, écrivain, pianiste accompli… Il est chargé de cours à l’Institut d’études slaves et à la Sorbonne. Il est en Pologne quand elle est envahie. Il entame une longue et difficile marche vers la France. Il est chargé par le gouvernement polonais en exil de fonder ce qui deviendra le lycée polonais de Villard dont il est le premier directeur. Il y enseigne la littérature polonaise. Il est arrêté en 1943, puis déporté à Buchenwald, d’où il reviendra à la Libération. Il reste en France, représente à nouveau la Pologne, contribue sans relâche à son rayonnement et à l’amitié franco-polonaise. Il décède en 1967, est enterré dans la nécropole polonaise du cimetière de Montmorency. Non loin de sa tombe, repose Cyprian Norwid.
- Adam Skinder, élève – Notre école, 2017, d’après Mój Villard de Lans, 1978.
Adam Skinder, élève – Notre école, 2017, d’après Mój Villard de Lans, 1978.,Il est impossible de décrire dans toute son ampleur la personnalité de Lubicz-Zaleski, cet humaniste paisible, au sourire bienveillant. L’air quelque peu égaré dans la vie quotidienne, on le voyait souvent parcourir la distance entre notre hôtel et celui de la Poste traînant la patte après avoir enchaîné plusieurs cours. Mais, par son charisme, il irradiait son entourage. Il recevait les nouveaux élèves et avait avec chacun d’eux une conversation directe et cordiale, à l’occasion de laquelle il l’exhortait à faire honneur à ses compatriotes en même temps qu’à remplir ses devoirs d’élève. De cet entretien, chacun de nous ressortait avec un regard nouveau sur le monde, débarrassé du sentiment d’échec et de la tentation du découragement, au profit d’un sentiment d’espoir et de confiance dans l’avenir, y compris immédiat.
Lorsqu’il n’était pas contraint de s’absenter par ses nombreuses obligations, Zaleski était systématiquement présent aux repas. Rarement, trop rarement, après le dîner, lorsqu’il n’y avait plus personne dans le réfectoire, il s’asseyait au piano et, tout entier absorbé par la musique de Chopin, voire, peut-être, par ses propres compositions, il jouait — je devrais plutôt dire, il donnait un concert. Et nous, nous étions là sans qu’il nous voie, assis sur les rebords des fenêtres, fascinés par ces sons qui mêlaient de façon inimitable tristesse et joie, malédiction et espoir, amour et foi, et surtout nostalgie…
Cette « beauté enfermée dans le temps » — ainsi qu’il aimait à définir la musique — était pour nous, exilés loin de nos foyers, quelque chose de grandiose. À peine percevait-il le moindre bruit ou mouvement, qu’il se levait, refermait le piano et s’empressait de