4.4.1 « Pour la plus grande émotion des invités. »
—Tadeusz Łepkowski, élève. Une école libre polonaise en France occupée (2012), d’après Wolna szkoła polska w okupowanej francji (1990).
Au programme des nombreuses cérémonies organisées à Villard comme à Lans figurait souvent la déclamation de poèmes du répertoire romantique ainsi que d’œuvres patriotiques contemporaines, exercice qu’affectionnaient les élèves. En général, la cérémonie commençait par un discours, suivi d’exposés et de conférences. Certaines allocutions sont restées mémorables ! La chorale du lycée était toujours présente, pour la plus grande émotion des élèves et des enseignants comme des invités tant polonais que français.
Zaleski donnait de temps à autre, généralement le soir, un récital Chopin dans la grande salle à manger de l’hôtel du Parc. Parfois aussi, il voulait jouer seul, pour lui-même, mais les élèves se glissaient en silence dans la salle, pieds nus, pour écouter Chopin dans le recueillement. « Le professeur continuait à jouer jusqu’au moment où il s’apercevait qu’il était entouré d’élèves, et s’enfuyait alors », raconte l’un d’eux.
Si la musique de Chopin, donc, résonnait de temps à autre, les simples chansons étaient omniprésentes à l’internat, ainsi qu’aux récréations, en promenade ou sur le chemin du lycée. On chantait, a cappella ou en s’accompagnant d’instruments, au demeurant peu nombreux (l’harmonica, plus rarement l’accordéon ou la guitare), en solo ou, plus souvent, en chœur, généralement à plusieurs voix. On chantait les hymnes nationaux des trois pays, ainsi que des marches ou des chants militaires des années, mais aussi des airs d’opéras ou d’opérettes, des chants populaires, des chants scouts ou des chansons à succès de l’entre-deux-guerres (valses, tangos, etc.).
Plusieurs enseignants, dont Jadwiga Stefanowicz et Godlewski lui-même, inoculèrent aux élèves, sans aucun mal d’ailleurs, le « virus » de l’art dramatique. C’était Jadwiga Stefanowicz qui dirigeait le club de théâtre, tandis que Zofia Łukasiewicz s’occupait de trouver les costumes. Quant aux décors, ils étaient généralement confectionnés par les lycéens eux-mêmes. C’étaient les répétitions qui donnaient aux jeunes acteurs leurs sensations les plus intenses, y trouvant abondamment matière à réflexion et à discussions. Les résultats furent remarquables. La vengeance de Fredro et Je deviendrai plus blanc que neige de Żeromski méritent une mention particulière, car ces deux spectacles furent si remarqués que des notables grenoblois firent le déplacement pour les voir.
En 1942, un effort collectif aboutit à la création de l’opéra satirique Straszny Sąd [Le jugement fantomatique] dont certains passages demeurèrent en vogue durant toute l’existence du lycée. L’argument était le suivant : les professeurs examinaient, pour le plus grand amusement des spectateurs, si un malheureux élève défunt devait aller au ciel ou en enfer. C’est ainsi que Kazimierz Gerhardt, représenté en juge au cœur de colombe, chantait : Ses larmes coulent / H2SO4 / Base et acide / Il faut l’accueillir / Allégez ses tourments / Qu’il reste ici. Tandis que l’intéressé résumait la situation en ces termes : L’enfer est partout là où n’est pas la jeunesse / Larmes et désespoir sont signes de vieillesse / Venez donc avec moi, ô mes frères / Là-bas, au vieux pays sur terre / À Villard, paradis éternel / Où l’air embaume au printemps / Où le mois de mai est florissant.
C’était une sorte de joyeuse ode à la jeunesse, au « jeune Villard ».
La crèche polonaise traditionnelle, et plus précisément le tableau vivant « Devant la Crèche de l’Enfant Jésus », représenté en polonais à l’hôtel du Parc et en français au cinéma Rex, appartient à la fois à l’histoire théâtrale du lycée et à son histoire religieuse. Le texte, en vérité plus patriotique et militaire que religieux, était de Hilary Bakalarski, sa (libre) traduction en français de Philippe Blanc. La musique était d’Ernest Berger, et la chorale était évidemment du spectacle. Les décors et la mise en scène étaient de l’ingénieur Aleksander Łabęcki, tandis que Stanisław Sadowski et Wacław Binental s’occupaient de la régie technique. Dix-neuf élèves étaient présents sur scène. Les deux représentations attirèrent de nombreux spectateurs, polonais et français, qui applaudirent chaleureusement les artistes.