C’est dans l’incertitude et le désarroi après des catastrophes sans pareilles qu’entre les 9 et 15 octobre 1940 le Lycée polonais Cyprian Norwid apparut à Villard-de-Lans : effondrement de la Pologne en septembre 1939 et flots de réfugiés, jeunes surtout, anciens soldats, mais aussi familles entières ; défaite française en 1940 ; évacuation de Paris ; exode massif de la population après l’armistice qui semblait entériner l’irréparable et exclure la lutte armée sur les champs de bataille au moment où, en Pologne dépecée, entièrement occupée, se multipliaient à une cadence effarante les exécutions, les déportations, et s’allumaient les fours crématoires des camps de concentration.
Le lycée fut accueilli par les habitants avec bienveillance et compréhension. Accueilli, nullement imposé, point essentiel pour comprendre la suite.
Ce lycée, dont les effectifs grandissaient de jour en jour pour ne pas dire d’heure en heure, voulut être un refuge pour les jeunes combattants exilés et sans avenir immédiat, un peu leur propre maison où ils pouvaient se sentir en sécurité, en même temps qu’une école où l’on pouvait, en attendant la reprise des hostilités, faire des études dans de bonnes conditions et préparer le baccalauréat, reconnu par le gouvernement français comme l’équivalent des diplômes français analogues, donnant accès à tous les établissements d’enseignement supé¬rieur.
Mais le lycée Norwid fit davantage. Dans les limites de ses possibilités humaines, il voulut être une réponse aux événements historiques qui déroulaient dans le monde tant sur le plan militaire que culturel. Tendus à l’extrême dans un acte de foi et d’espérance, souvent démenti par les événements, mais ne s’abandonnant jamais au désespoir, considéré comme lâcheté. Sans cette référence à l’histoire qui se faisait sous nos yeux et à laquelle nous participions, corps et âme, il n’est pas possible de comprendre le caractère spécifique et d’esprit du lycée.
Lycée de résistance morale, intellectuelle et spirituelle, patriotique et hautement humaniste. Lycée de résistance militaire : être prêt à reprendre les armes dès que les circonstances le permettraient ou même avant pour les impatients et pour ceux qui étaient menacés à cause de leur activité dans le maquis : ils partaient clandestinement vers l’Espagne pour rejoindre les rangs de l’armée polonaise en Angleterre.
Dans aucun cas on ne devait se sentir démobilisé. Habillés de vêtements civils, tous, dans leur conscience — directeurs, professeurs, personnel administratif, employé de cuisine ou de ferme, élèves — étaient des combattants par vocation et libre choix. D’où cette discipline extérieure, semi-militaire qui frappait ceux qui nous regardaient du dehors ; d’où le souci qu’avait la direction d’assurer aux élèves une bonne forme physique et sportive dont l’artisan fut M. Budrewicz qui, dès les premières semaines, entra en relation avec les clubs sportifs français, organisa les compétitions et noua avec eux des liens d’amitié durables.
Les traits distinctifs dont je viens de vous rappeler l’importance donnèrent au lycée son armature interne, son caractère historique d’une école qui n’était pas comme les autres.