7.2.1 « Ce fut le premier signe de la mise au pas de la pensée libre. »
—Aleksander Uszyński, élève. Notre école, 2017.
À la rentrée de janvier 1946, nous avons vu arriver, envoyé par une ambassade de Pologne déjà sous emprise communiste, un moujik mal dégrossi avec le titre de prof de civilisation polonaise, un dénommé Wrona (Corneille), très vite surnommé par les élèves « l’œil de Moscou ». Il passait son temps à sanctionner le comportement ou les expressions subversives de certains élèves dont moi, mais aussi de certains profs rappelés à l’ordre sans ménagement. Ce fut le premier signe de la mise au pas de la pensée libre qu’il fallait désormais rendre compatible avec le communisme soviétique.
C’est dans les activités extrascolaires que nous conservions toute notre liberté de création, de discussions, d’interprétation et, d’une manière générale, de pensée. Le journal du lycée, Zycie Mtodych (La vie des jeunes), refusa catégoriquement tout contrôle préalable de ses articles et décida de rendre confidentiel le nom des auteurs : une expression unanime de notre résistance.
Dans cette ambiance de fin d’une époque, la réaction de tous, élèves et profs, était de travailler d’autant plus ardemment dans toutes les matières, de poser plus de questions, de discuter et d’approfondir les réponses, bref, de tirer le maximum de profit du temps qui nous restait à travailler ensemble. Notre participation aux fêtes nationales et religieuses et aussi locales était d’autant plus soignée et appréciée par la population de Villard.
On pouvait déjà se douter que les jours du lycée de Villard, imprégnés depuis 1940 d’une profonde tradition polonaise et occidentale, étaient comptés, car la résistance passive de l’ensemble du corps professoral et de la quasi-totalité des élèves ne pouvait s’accommoder de cette idéologie imposée. Cette résistance n’avait rien de comparable avec celle de la Pologne occupée. C’était plutôt celle de potaches jouant à tout bout de champ des tours pendables à un prof détesté et à ses quelques acolytes, mais on a quand même réussi à lui rendre la vie impossible jusqu’à la fin juin 1946. Ceci dit, les moujiks ont la peau dure…