7.4.1 « Nous fûmes nombreux à ne pas suivre Wrona. »

—Michał Markiewicz, élève. Notre école, 2017.
Dès les premiers cours de Wrona, la coloration communiste de son enseignement était limpide et il ne s’en cachait pas. À la question posée par l’un de nous pour connaître la position d’un Polonais en cas de guerre avec la Russie, sa réponse était formelle : une guerre contre la Russie était inimaginable depuis que la république bourgeoise avait été remplacée par une République populaire, etc.
J’étais alors en Première Math-Physique et ma chambre, au Parc, était mitoyenne à la sienne. Souvent nous entendions Wrona marmonner à haute voix comme un homme ivre. En réalité, je ne pense pas qu’il fût ivre. Il était malheureux, sans amis, aucun professeur ne frayait avec lui. Des mots qui nous parvenaient à travers la cloison, nous comprenions qu’il se lamentait de ce que les élèves semblaient ignorer la réalité de la Pologne bourgeoise d’avant-guerre.
La présence de Wrona montrait qu’il y allait avoir un changement dans la destinée de Villard, mais nous ne savions absolument rien. Chacun avait sa petite idée, mais on n’en parlait pas, ni entre nous ni avec les professeurs qui semblaient figés dans l’incertitude de leur propre décision, tant la présence de Wrona était oppressante. La fin de l’année approchait, et je ne me souviens pas d’avoir été informé que j’aurai à effectuer ma 2e et dernière année de lycée à Paris, où devait se retirer l’école. Toujours cette ambiance pesante et étouffante.
Un camarade plus engagé que les autres, ayant décidé de son non-retour en Pologne, m’informa de la création « probable » d’un cours prébaccalauréat au camp de La Courtine, où l’armée anglaise avait regroupé tous les Polonais qui s’étaient présentés à eux dans les derniers mois de la guerre et qui n’avaient pas été intégrés dans une unité combattante : prisonniers de guerre, déportés politiques ou du travail libérés par l’avance des forces alliées, anciens militaires réfugiés en France, etc. Imbibés de la culture patriotique et anti-bolchevique de Villard, nous fûmes finalement nombreux à nous sentir encore « en guerre » et à ne pas suivre Wrona, mais ceci à titre individuel, sans aucune entente mutuelle.
Une fois parti de Villard, il fallait se préoccuper de rejoindre le camp militaire de La Courtine, connu aussi sous le nom de camp du Larzac. Pour les vacances scolaires de 1946, je rejoignis mes sœurs qui constituaient l’essentiel de ma famille et qui étaient alors infirmières à l’hôpital polonais militaire d’Aix-les-Bains. De là, en septembre, en me déguisant de bric et de broc en militaire et avec des papiers bidon, je gagnai La Courtine. Je fus surpris d’y retrouver six camarades de ma classe, dont une fille ! Franchement, je ne peux chiffrer l’effectif global de ces cours, mais nous devions être grosso modo quatre-vingts élèves dont une trentaine de Villard.
Le programme scolaire me semble avoir été sérieux et les professeurs compétents. Sur nos diplômes de baccalauréat reçus en fin d’année figuraient les signatures de Jadwiga Aleksandrowicz, Zygmunt Zaleski et Wacław Godlewski. À leur signature, ces deux derniers avaient accolé leur titre de Directeur du lycée polonais de Villard-de-Lans !