Printemps 1946, au-dessus de Lans-en-Vercors sur le plateau des Ramées, autour des professeurs Józef Mul (cravate rayée) et Stefan Wrona (cravate unie).

Liber Marian

— Élève

Liber Marian

3e et 4e années de gymnase 1942-1944.

Marian Liber est né le 18 janvier 1925, Bugaj (distr. Pińczów, voïv. Kielce), Pologne.

Les parents de Marian émigrent dans l’est de la France alors qu’il n’a que deux ans. Marian y suit sa scolarité.

En 1939, la famille se réfugie à Saint-Etienne. Marian rallie le POWN et le réseau Monica, puis les FFI. En 1942, il intègre le Lycée Polonais pour y finir sa scolarité. En 1944 et après le massacre de Vassieux, Marian rejoint l’armée polonaise en Angleterre. Il est nommé sous-lieutenant.

Il est démobilisé en 1946, retourne en France, s’y installe pour enseigner le polonais aux enfants d’émigrés, épouse Janina Lamenta, ancienne élève du lycée. Tous deux créent alors un auto-école.

Marian décède en 2022.

En 2016, Marian écrit dans notre livre Notre école.

Arrivé à Villard-de-Lans en 1942 pour intégrer la classe de Troisième, je fais partie des FFI de juillet 1943 à juillet 1944. Après l’assaut du 21 juillet 1944 à Vassieux-en-Vercors, miraculé de cet enfer, j’ai réussi à rejoindre Villard-de-Lans après trois jours de marche.

Après la bataille du Vercors et la libération de Saint-Étienne, je me suis engagé comme volontaire dans l’Armée polonaise à Paris dans la caserne Bessière pour continuer le combat contre les nazis jusqu’à la victoire finale.

Me voilà enrôlé dans l’Armée polonaise sous commandement britannique. Je pars en Écosse en bateau puis en train, j’arrive au bureau à Londres où je dois remplir de nombreux formulaires et répondre à des interrogatoires sur mon parcours. Comme les officiers manquent, j’intègre l’école de Crieff pour une durée de six mois au lieu de douze : il y avait urgence. Me voilà dans le train, je pars pour la gare de Tain dans l’extrême nord-est de l’Écosse. Affecté dans la 4e division, 27e bataillon, 1re compagnie, nous effectuons quelques mois de service et de manœuvres. Il m’arrive alors une histoire extraordinaire, une belle rencontre qui conditionna ma vie après mon retour en France.

Un jour, un monsieur s’arrête à côté de notre caserne. Comme je suis le seul à parler anglais, celui qui l’accueille crie : 

« — Allez chercher Liber ! »

J’arrive, j’écoute attentivement la requête de ce monsieur âgé :

« — Je suis catholique, je sais qu’ici il y a une messe tous les dimanches. J’aimerais pouvoir assister à cet office tous les dimanches. »

Je traduis sa demande à mon supérieur hiérarchique, mais il faut poser la question directement à notre colonel. Ce monsieur aimerait que je l’accompagne pour être son interprète, si besoin. Avec l’autorisation de mon capitaine, nous voilà en route dans sa limousine avec chauffeur en gants blancs. Arrivés au PC, il me tend sa carte de visite : Colonel John Gérald Paget Romanes. Descendant d’une illustre et grande famille noble écossaise, les Romanes sont connus dans tout le royaume, mais je ne le savais pas à cette époque. Comme le colonel polonais parle anglais, il reçoit seul son confrère et lui donne la permission d’assister à la messe les dimanches. En me ramenant, le colonel Romanes me remercie et me dit : 

« — On se reverra ! »

Le dimanche suivant, la limousine est là, le colonel va à la messe. Il m’invite chez lui à déjeuner, j’obtiens la permission de sortir et me retrouve chez lui, un vrai château situé à Pitcalzean, Nigg, dans le Rossshire. Sa table est aussi longue que belle. Ce scénario se reproduira plusieurs fois. Un jour, je lui annonce que je ne pourrai pas venir le prochain dimanche, car avec plusieurs copains nous avons décidé d’aller au bal. Il me demande comment je compte y aller. Je lui réponds : 

« — Comme je pourrai : à pied, en stop, à vélo. »

Il me propose de me prêter sa limousine. Il insiste et me signe un papier m’autorisant à conduire sa voiture. Très fier, et mes copains très excités, nous partons au bal. Quelle n’est pas ma surprise de tomber nez à nez avec mon bon colonel ! Que fait-il là ? Il me demande si je passe un bon moment. Je lui réponds que oui. Je suis déçu, je sais qu’il ne m’a fait que partiellement confiance, qu’il est là pour voir si mes dires étaient justes.

Chez lui, nous jouons régulièrement aux échecs et nous nouons une relation chaleureuse et paternelle. Je croise les dimanches de jeunes Australiens ou d’autres étrangers, des soldats trop éloignés de chez eux pour rentrer régulièrement. Ce colonel aime nous recevoir, il nous offre l’hospitalité le temps d’un déjeuner. À la fin de l’année 1945, il me fait un cadeau somptueux, une montre à gousset en or massif dont je ne me suis jamais séparé.

Un jour, il me confie un projet enthousiasmant : une fois la guerre terminée, il viendra chez moi, en France, avec sa limousine, et de là nous irons à Rome pour une audience avec le Pape. À notre retour, promet-il, il me donnera sa voiture.

D’Angleterre, j’envoie des colis contenant des cigarettes et du chocolat à Janina pour lui permettre de gagner un peu d’argent en vendant ces petites marchandises. Dans une de ses lettres, elle m’écrit de me dépêcher si je veux passer mon bac, car il ne me reste que deux ans pour le faire.

1946… Comme je parle allemand, je suis envoyé en mission pour un mois pour évaluer le mental de prisonniers allemands. J’apprends que le colonel Romanes est décédé. Je demande une permission pour aller à son enterrement, mais elle m’est refusée.

Septembre… Je rentre à Paris, au lycée de Lamandée, avenue Wagram. J’y passe mon bac en 1948.

Il n’y eut donc ni voyage romain, ni entrevue papale, ni limousine dans mon garage. Ma rencontre avec le colonel Romanes fut pour moi un évènement marquant. Je découvris un monde qui m’était totalement étranger. Elle eut aussi une conséquence inattendue. En 1950, les frères du colonel me retrouvèrent et me transmirent, via la Bank of England, un legs de 500 livres, quelque 15 000 euros d’aujourd’hui. Cet héritage était pour moi une somme importante. Était-il une compensation au voyage jamais réalisé ? Il était supposé me permettre de finir mes études, il me permit de construire notre première maison.